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L’administration des élections – Tchad

Organes de gestions des élections

L’analyse des organes de gestion des élections au Tchad, comme d’ailleurs dans nombre de pays africains, fait ressortir deux dimensions inextricablement liées. La première dimension est relative à l’impartialité des organes de gestion des élections qui est érigée en principe cardinal. Cette impartialité se traduit généralement par des critères aussi divers que la nature, l’étendue des pouvoirs, l’autonomie administrative et financière, la composition et les procédures de désignation des membres. La deuxième dimension souvent soulignée se rattache au professionnalisme des organes de gestion des élections qui doivent être à même de conduire méticuleusement les opérations.

L’administration électorale au Tchad a connu de nombreuses mutations ces dernières années. D’un système mixte, le pays est passé à un système relativement indépendant. Avant les élections de 2011 et 2012, le processus électoral était partagé entre le ministère de l’administration du territoire et la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI). L’enrôlement des électeurs, par exemple, ressortait du ministère en charge de l’administration territoriale à travers la Commission Nationale de Recensement Electoral (CNRE). Cette commission établissait les listes électorales qui devaient servir à l’organisation des élections. La nature hétéroclite de cette commission et surtout son rattachement au ministère de l’administration territoriale a souvent suscité la méfiance à la fois de l’opposition et d’une partie des électeurs. Quant à la commission électorale nationale indépendante, le déséquilibre dans sa composition la rendait moins indépendante et impartiale (elle comptait bien trente-un membres mais vingt-quatre étaient de la majorité) Cette méfiance vis-à-vis de l’architecture institutionnelle des élections va conduire les acteurs politiques à une réforme.

Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) : L’Accord politique du 13 août 2007 va retenir un modèle d’administration électorale plus équilibré et relativement indépendant. La commission électorale nationale indépendante est désormais paritaire, elle comprend autant de membres désignés par l’opposition que par la majorité, soit 15 membres de chaque bord. Quant au président, il est de manière consensuel par la majorité et l’opposition, parmi les personnalités jouissant d’une moralité et d’une impartialité reconnues. Au-delà de la composition paritaire, le mandat de la commission électorale a été revu. Cette dernière est dorénavant responsable de la totalité du processus, de l’enrôlement des électeurs à la proclamation des résultats provisoires.

L’Accord politique de 2 Avril 2013 a changé la composition de la CENI et créé le Cadre National de Dialogue Politique (CNDP). L’accord de 2013 a reconnu l’importance d’inclure des représentants de la société civile à la liste des membres de la CENI. Dans le but d’augmenter la transparence du processus électoral, la composition de la CENI a été modifiée de telle sorte que les représentants de la société civile ont obtenu six membres, l’opposition politique douze membres, et la majorité politique douze membres. Ces trente membres étaient alors chargés de choisir en leur sein le président de la CENI à partir d’une liste des personnes connues pour leur impartialité politique, leur indépendance et autonomie. Toutefois, cette composition de la CENI a été de courte durée, puisque l’opposition et la majorité étaient insatisfaites de la possibilité de perdre trois membres à la CENI. Conséquemment, le 17 Août 2013, le code électoral a été modifié par la loi électorale n ° 016. La composition de la CENI a été portée à quarante et un membres: le président, six membres représentant la société civile, dix-sept membres de l’opposition politique, et dix-sept membres de la majorité politique. Ainsi, les partis politiques au lieu de perdre trois membres de la CENI, ont fini par gagner deux membres, malgré l’inclusion de représentants de la société civile.

Comment représenter équitablement tous les partis politiques au Tchad – plus de 150 – n’est pas un nouveau débat. C’était d’ailleurs l’une des questions abordées par les réformes de l’Accord politique de 2013 qui a créé le CNDP. Le CNDP est composé de deux organes politiques: l’Assemblée générale, et le Bureau de coordination. L’Assemblée générale accueille tous les partis politiques officiellement reconnus au Tchad ainsi que des membres désignés pour représenter la société civile. Le Bureau de coordination est composé de dix-sept membres: six membres représentant l’opposition politique, six membres de la majorité politique, trois membres représentant la société civile, et deux modérateurs. Le mandat de la CNDP va jusqu’à la fin du processus électoral 2013-2016. La CNDP est globalement responsable d’assurer que les partis politiques respectent les mécanismes institutionnels prévus dans le Code électoral, en particulier pour les élections à venir. Le CNDP est également chargé de la surveillance et la mise en œuvre du recensement biométrique, les élections locales et régionales de 2014, les élections législatives de 2015, et l’élection présidentielle de 2016.

La CENI est également chargée du processus électoral. En dehors de sa vocation initiale consistant à fournir un forum pour tous les partis politiques leur permettant d’exprimer leurs préoccupations au sujet de l’administration des élections à venir, il n’était pas clair quel rôle jouerait le CNDP dans le processus. Cela a attiré une vague importante de critiques puisqu’il est apparu que le gouvernement investissait à perte en doublant les institutions en charge du processus électoral et en augmentant considérablement le nombre d’acteurs impliqués dans le processus de prise de décision. En effet, dans un premier temps, l’opposition officiellement reconnue a catégoriquement refusé de participer à la CNDP. En fin de compte, leurs préoccupations avaient été soulagées et le CNDP avait continué à assumer le rôle de supervision de la CENI. Pourtant, la création de la CNDP a considérablement retardé le processus électoral. Par exemple, la mise en œuvre du recensement biométrique – pour lequel toutes les parties ont convenu doit avoir lieu avant l’organisation des élections – a été complètement annulée le 9 Septembre 2014 par le Programme des Nations Unies pour le dévéloppement parce que les acteurs politiques du CNDP n’avaient pas le pouvoir discrétionnaire dans le processus quant au choix de partenaires locaux pour l’exécution du recensement. Cette annulation garantit pratiquement que les élections locales et régionales n’auront pas lieu comme prévu en 2014 et retarde davantage l’ensemble du processus électoral, forçant éventuellement la législature d’adopter une extension spéciale des mandats.

Bureau Permanent des Elections (BPE) : C’est l’une des innovations en matière électorale induites par l’accord politique. Le BPE est une structure technique qui appuie la commission électorale dans son travail. En période électorale, le bureau est rattaché à la commission électorale dont il assure le secrétariat et en période normale, il tombe sous la coupe du ministère en charge de l’administration du territoire et s’occupe de la révision de la liste électorale et de la gestion du fichier électoral. Le président du BPE est nommé par décret pris en conseil de ministres.

En ce qui concerne les bureaux de vote, les dispositions du code électoral indiquant un bureau de vote dans un rayon n’excédant pas cinq kilomètres ont été suivies. Cependant, la localisation n’a pas été adéquate dans la plupart des cas aux dernières élections législatives, présidentielle et communales. Ainsi, de nombreux bureaux de vote ont-ils été installés sous des arbres alors que l’administration électorale pouvait bien réquisitionner les bâtiments publics, notamment les écoles, collèges et lycées publics.

Il faut également souligner que le non-respect des délais d’affichage des listes électorales n’a pas permis aux électeurs de localiser à temps les bureaux dans lesquels ils devaient voter. A cela, il faut ajouter les incohérences entre les indications de la liste électorale conçue par ordre alphabétique et les mentions du récépissé qui, lui, était établi par ordre d’enregistrement. Sur ce dernier point, il faut relever une innovation. Lors des précédents enrôlements, l’électeur repartait avec sa carte d’électeur le jour même de son recensement. Pour les dernières élections, l’administration électorale a délivré aux personnes enregistrées des récépissés à l’enregistrement. La distribution des cartes d’électeur a débuté à quelques jours du scrutin, ce qui n’a pas permis une distribution adéquate.

Limites de l’architecture institutionnelle actuelle

Les reformes du système électoral tchadien opérées à la suite de l’Accord politique du 13 août 2007 constituent certes une avancée, mais elles ne comportent pas moins des limites. Les plus importantes se rapportent aux organes de gestion des élections et au code électoral.

La satisfaction affichée par les acteurs politiques au sujet de la nouvelle structuration de l’organe de gestion des élections ne masque pas totalement les limites du système. En dépit de sa réforme, la commission électorale reste d’abord un organe politique. Elle est composée de représentants des partis politiques dont certains n’ont d’ailleurs aucune expérience des questions électorales. De plus, le choix de ses membres au niveau des démembrements n’a pas obéi aux dispositions de la loi 020/PR/2009 et du décret 621/PR/PM/MISP/2009. La loi 020 portant création de la CENI et le décret 621 portant modalités pratique d’application de cette loi indiquent clairement que les démembrements de la CENI ainsi que les bureaux de vote sont mis en place par la CENI en respectant la parité majorité-opposition ; mais celle-ci a subi l’ingérence des partis politiques par le biais du Comité de suivi de l’application de l’accord politique qui voulait contrôler le processus de mise en place des démembrements.

Cette méconnaissance de la loi s’est prolongée dans la désignation des membres des bureaux de vote. Alors que l’article 39 du code électoral indique clairement que les membres des bureaux de vote sont choisis par les démembrements de la commission électorale, les partis politiques se sont attribué cette compétence sans considération aucune des exigences du travail à fournir. Cette sélection hasardeuse des membres des bureaux de vote s’est traduite par le remplissage inadéquat des procès-verbaux. Les ratés créés ont entrainé l’annulation de milliers de procès-verbaux, notamment lors des législatives de février 2011. Le remplissage approximatif des procès-verbaux n’a pas, non plus, facilité le contentieux électoral, d’autant plus que les délégués des partis politiques dans les bureaux de vote n’étaient pas tout à fait préparés à la tâche.

Si le Bureau permanent des élections (BPE) apparait comme une innovation marquant, peut-être, une transition vers l’institutionnalisation ou la permanence de l’organe de gestion des élections, il ne souffre pas moins de sérieuses limites. La moindre n’est sans doute pas la faiblesse de ses ressources humaines. Le retard accusé dans la confection des listes et des cartes électorales est amputable à ce déficit ainsi que les mentions erronées contenues dans les cartes électorales. En outre, la nature hybride du BPE pose problème et susciterait indéniablement des remous dans l’avenir. Son rattachement au ministère en charge de l’administration du territoire en période non électorale soulèvera immanquablement des protestations de nombre d’acteurs politiques et de la société civile. La mission fondamentale du BPE étant de tenir à jour le fichier électoral, il est à craindre que son affiliation à ce ministère traditionnellement occupé par un cadre du parti au pouvoir soulève des doutes sur la fiabilité des listes électorales. Il n’est pas superflu de rappeler ici que les listes électorales sont la principale pomme de discorde entre la majorité et l’opposition sur le terrain électoral.

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